Secteur minier : La Cour des comptes s’active pour plus d’audits

La Cour des comptes du Burkina Faso a accueilli en février 2019, deux ateliers de formation, le premier sur le thème « la négociation et le suivi de la mise en oeuvre des titres et contrats miniers » et le second a porté sur la « Collecte et gestion raisonnée des revenus du secteur minier ». Ces ateliers se veulent des moments de renforcement des capacités des membres de la Cour des comptes. Ses parties prenantes dont des démembrements de l’Etat et des organisations de la société civiles dont l’Action des journalistes sur les mines au Burkina Faso (AJM-BF) sont également concernés. Ces rencontres se tiennent sous la coupe du Projet d’amélioration de la surveillance de l’industrie extractive en Afrique francophone subsaharienne (PASIE) sur financement du Gouvernement du Canada. Après deux semaines de travaux, Burkina 24 a tendu son micro à Justin Jean Baptiste Bouda, Président de chambre, chargé de contrôle des opérations de l’Etat de la Cour des comptes, le vendredi 22 février 2019.

Burkina 24 (B24) : Pourquoi cette formation et quel en est le contexte ?

Justin Jean Baptiste Bouda (J.J.B. Bouda) : C’est une formation qui s’adresse à la Cour des comptes et à ses parties prenantes. Les parties prenantes étant des organes ou des personnes intéressées par le travail de la Cour des comptes ou des sujets que traite la Cour des comptes. Il s’agit d’un programme de renforcement de capacité organisé avec l’appui du Projet pour l’amélioration de la surveillance dans les industries extractives basiques (PASIE), sur financement canadien à travers Affaire mondiale Canada. Vous savez, notre pays a entamé depuis plus d’une quinzaine d’années, une politique minière qui vise à ouvrir notre sous-sol à des investisseurs nationaux et étrangers et qui doit nous permettre de tirer le plus grand profit.

Pour tirer le plus grand profit de cette manne minière, il y a un certain nombre de conditions. D’abord, que les contrats soient suffisamment bien négociés. Et nous avons fait une semaine (du 11 au 15 février 2019, ndlr) sur la négociation des contrats et leur suivi parce que le tout n’est de bien contractualiser, mais suivre aussi la mise en œuvre des contrats.

Et cette semaine, (du 18 au 22 février 2019, ndlr) nous avons abordé un sujet tout aussi intéressant que pertinent qui est la collecte et la gestion raisonnée des ressources minières. Parce qu’une autre condition, en plus du fait d’avoir de très bons contrats bien négociés, est que nous le suivons. Il y a lieu de bien collecter les revenus miniers et de les utiliser raisonnablement. Gestion raisonnée qui signifie simplement que lorsqu’on tire ces revenus, il faut savoir les utiliser au regard des conditions les plus profitables pour le pays.

Nous avons vu, à travers ces formations, des exemples de bonnes pratiques mais aussi des cas de mauvaises pratiques, illicites. D’ailleurs, notre politique minière au Burkina Faso, c’est de faire du secteur minier, un secteur promoteur de développement, un secteur qui va tirer les autres secteurs d’activités.

Le rôle de la Cour des comptes étant de faire des audits et d’évaluer les politiques publiques, entre autres, nous avons entamé ces renforcements de capacités pour permettre à la Cour de disposer des compétences nécessaires pour évaluer la politique minière, pour auditer le secteur, de sorte à nous assurer que les contrats ont été très bien négociés, que les contrats sont très bien suivis, que les ressources sont collectées convenablement et de manière optimale et que ces fonds sont utilisés comme il se doit dans le plus grand profit de la nation.

B24 : Est-ce qu’auparavant la Cour des comptes a déjà mené des audits dans le secteur minier ?

J.J.B. Bouda : Nous avons un audit en cours qui n’est pas encore totalement clôturé. C’est l’audit même du système institutionnel. C’est-à-dire que nous sommes allés voir le dispositif institutionnel et juridique pour vérifier si l’arsenal est suffisamment au complet et nous sommes dans la phase du rapport provisoire.

Le ministère des mines a fait parvenir ses réponses à nos observations et nous allons conclure bientôt.

Après cela, certainement, nous allons aller dans d’autres domaines du secteur pour rendre compte à la population, à l’Assemblée nationale et même au gouvernement de tout ce qui pourrait être fait comme améliorations possibles.

B24 : A la suite de la formation sur la gestion raisonnée des ressources issues des mines, quelles conclusions pouvez-vous tirer de la gestion du secteur au Burkina Faso ? Est-ce qu’il y a des couacs à régler ?

Justin Jean Baptiste Bouda, Président de chambre, chargé de contrôle des opérations de l’Etat de la Cour des comptes

Justin Jean Baptiste Bouda, Président de chambre, chargé de contrôle des opérations de l’Etat de la Cour des comptes

J.J.B. Bouda : C’est déjà une question d’audit. Il faut dire déjà qu’au regard des exposés, puisque nous sommes allés sur la base des textes qui existent au Burkina, nous avons en tout cas suffisant de textes mais c’est la pratique qui peut peut-être nous poser un problème. Et là, il faut aller voir parce que les textes peuvent être bien écrits, bien élaborés mais si à l’application on ne veille pas aux moyens d’opérer, ça va être vraiment difficile.

Déjà ce que nous percevons, c’est que visiblement, il y a suffisamment d’organes, suffisamment d’acteurs, suffisamment de textes. Le cadre juridique et institutionnel est là. Maintenant, c’est la mise en œuvre qui mérite peut-être qu’on s’arrête et qu’on regarde si les organes qui sont là ont les moyens nécessaires pour aller sur le terrain.

Dans le secteur minier, est-ce qu’on a les moyens financiers aujourd’hui d’aller contrôler ce que les sociétés minières déclarent en termes de production, en termes de ressources minières et de ressources financières ? Est-ce qu’on a aujourd’hui les moyens d’analyser ce qu’ils sortent comme produits ? Est-ce que la Cour a les moyens et les compétences nécessaires pour aller auditer suffisamment ?

On peut dire raisonnablement que nous avons suffisamment un cadre juridique constitutionnel mis en place pour bien gérer le secteur. Les acteurs aussi sont là avec peut-être à quelque part  des compétences pas très confirmées dans la mesure où vous savez que notre pays avait abandonné le secteur depuis un certain temps, donc il y avait pas eu suffisamment de formations dans le domaine. Les compétences que nous avons sont jeunes et la plupart de ceux qui avaient été formés pour gérer le secteur sont pratiquement tous à la retraite ou dans d’autres domaines maintenant.

Ce n’était plus une priorité mais maintenant, les formations sont en train de se faire à travers les universités, les écoles de formation et à travers des formations continues comme celle que le PASIE assure aujourd’hui.

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B24 : Parlant de textes, nous avons vu que les mérites du fonds de stabilisation pour compenser les pertes en cas de baisse du cours des matières premières ou du fonds pour les générations futures ont été vantés. Le Burkina Faso n’en possède pas (Art.25 de la Loi 036 portant code minier 2015). Faudra-t-il les créer ?

J.J.B. Bouda : Ce sont des options. C’est pour cela qu’on parle d’ailleurs de gestion raisonnée et non pas de gestion raisonnable. Gestion raisonnée, à savoir qu’en fonction de vos réalités, en fonction des priorités du pays, on fait des options. Le Burkina Faso a opté d’instituer des fonds miniers dans le domaine de la recherche, dans le domaine de la préservation de l’environnement, dans le domaine du développement local pour que les collectivités puissent tirer profit de cette manne minière et aussi d’autres types de fonds dans le domaine de la réhabilitation des sites artisanaux.

Tout cela, c’est bien. Ça participe d’ailleurs dans l’encadrement. Maintenant, on a vu dans d’autres pays, des fonds de stabilisation qui visent à mettre de l’argent tiré des revenus de côté, on prend une partie où on place sous forme d’épargne ou de placement pour réutiliser au cas ou par exemple les cours vont baisser. Nous avons aussi des pays qui ont des fonds pour les générations à venir, des fonds d’épargne etc. On a même vu des pays qui, non seulement ont mis de l’argent de côté pour les générations à venir, mais ils ont placé cet argent qui procure des revenus et ce sont ces revenus qui sont réutilisés pour financer le développement.

Ce sont des options. On nous les a présentés. Nous allons apprécier aussi quand nous allons faire les audits, quand nous allons faire des recommandations. Mais à priori, tant que c’est une question d’option politique, ce qu’on a déjà, ce n’est déjà pas mal surtout qu’on pense au développement local et qu’on pense à la préservation de l’environnement et même à la recherche.

Maintenant, pour les fonds générationnels ou les fonds de stabilisation, chaque fonds a ses avantages et ses inconvénients. Quand vous prenez le fonds générationnel, d’aucuns vous diront que les investissements d’aujourd’hui, c’est pour les générations à venir. Construire des usines, construire des barrages, ça garantit encore l’avenir de ceux qui viendront. Nous n’allons pas emporter les barrages nous qui sommes là actuellement, c’est pour les générations à venir. D’autres ont exploité et financent les formations des jeunes et font des placements. Il y a des choix et le Burkina Faso a fait son choix. Il appartient à chacun d’en apprécier.

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B24 : Certains des fonds prévus par le Burkina Faso ne sont pas opérationnels. Prenons le cas du fonds minier de développement local ou pour la réhabilitation des sites miniers. Que peut faire la Cour des comptes dans ces cas ?

J.J.B. Bouda : Oui, c’est vrai. C’est comme je disais tout à l’heure, les textes qui ont été adoptés sont suffisamment bien élaborés mais à l’application, ils peuvent y avoir quelques difficultés. C’est ainsi que par exemple, on a des fonds qui ne sont pas encore constitués du fait que les acteurs ne se sont pas encore accordés sur un certain nombre de choses.

Ce que la Cour peut faire, c’est d’aller constater à travers nos audits, nous aurons à définir les champs d’audits et des objectifs d’audits. Nous pouvons par exemple prendre pour un fonds donné et voir s’il est constitué, s’il y a des objectifs bien précis, s’il y a des organes de gestion, que toute la garantie de transparence de la gestion de ce fonds est réunie et que le fonds est très bien utilisé. Par exemple, quand vous prenez le fonds de développement local, ce sont des fonds qui doivent financer essentiellement le développement local, surtout invertir dans les secteurs sociaux, les services de base et pas autres choses. Ce n’est pas pour financer le fonctionnement des mairies ou des communes.

Nous allons certainement avoir des audits où nous allons vérifier l’utilisation qui en est fait, pas seulement la Cour des comptes, vous avez l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) qui est un organe interne de l’administration qui fait un contrôle, on a même une inspection des mines qui existe au niveau du ministère et qui doit donc aller sur le terrain. Il n’y a pas mal d’organes. La Cour des comptes a la particularité d’intervenir a posteriori, c’est-à-dire après la gestion pour faire ressortir les insuffisances et proposer des recommandations.

B24 : Après deux semaines d’immersion dans le secteur minier, quelles sont les perspectives de la Cour des comptes pour optimiser la rentabilité de ce secteur ?

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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