Carrière de Basnéré : De la terre promise au trou propice !

Basnéré est un quartier périphérique de la ville de Toma, chef-lieu de la province du Nayala.  C’est un environnement caillouteux qui ne laisse aucune initiative salvatrice à l’agriculture. Après le passage d’une niveleuse, les habitants ont découvert une grande potentialité en latérite dans cette localité. Depuis lors, les premiers coups de pioche ont retenti depuis cette colline. Une vingtaine d’années durant, ça creuse, ça taille de la pierre pour en faire des briques. Aujourd’hui, c’est de là que sort le pain de plusieurs Personnes Déplacées Internes (PDI) de la ville de Toma.  

C’est une carrière à ciel ouvert où l’on exploite des milliers de briques en pierre taillée par jour. Le lundi 15 janvier 2024, aux environs de 15 heures, nous sommes dans cette carrière. Toma, la ville joyeuse, Toma désormais la cité des pierres taillées. Plus de la moitié des constructions de la ville de Toma sont en pierres taillées.

Dès l’entrée de la ville, l’on aperçoit des longues clôtures en pierre taillée, des grandes constructions avec un décor soigné. Le stade du Nayala, l’école de foot Lowgoin Football Club, des écoles, et autres bâtiments publics comme privés, sont construits en pierres taillées.

La pierre taillée est beaucoup utilisée dans les constructions à Toma

D’où nous viennent ces pierres joliment taillées et classées avec art ? Du centre-ville de Toma, nous prenons des renseignements sur la carrière. Mais, il en existe près d’une dizaine dans les alentours de la ville.

Il faut reconnaitre que ce n’est plus facile d’avoir des renseignements sur un lieu, encore moins une personne à Toma. Avec la situation sécuritaire délétère, la prudence est de mise. Chaque citoyen joue la police. Il faut décliner son identité, ses ambitions, même cultiver la confiance, avant d’avoir la moindre information, si c’est pour la bonne cause.

Ils sont entrain de creuser dans les trous dont la profondeur excède leurs tailles 

Nous avons usé des stratagèmes pour retrouver l’une des plus grandes carrières de la ville. Le site de Basnéré est aux encablures de la ville, extension ouest. Depuis la grande voie qui longe la carrière, on peut voir des dépôts de terre rouge en plusieurs tas sur une grande étendue.

Vue extérieure de la carrière de Basnéré

Avec l’apparence d’une mine d’or artisanale, la carrière s’étend sur une large superficie. Des tas de briques de pierres par-ci, la terre par-là, et des pistes faufilent entre les trous. Par endroit, c’est un décor spectaculaire laissé par traces de pioche. Tantôt des débordements de trou suite aux éboulements.

Soudain, à l’approche du cratère, un jeune homme sort des entrailles de la terre, suivi d’un second puis d’un troisième. Ces garçons transportent des briques taillées hors du trou. On peut apercevoir aussi une dizaine de personnes éparpillées à travers le site.

Mais, il y a bien de présences qu’on le croyait. Ils sont en train de creuser dans les trous dont la profondeur excède leurs tailles. Si d’autres sont aux premières couches, il y a des équipes qui sont à une profondeur de 8 mètres.

« Une cinquantaine à travailler dans la carrière sauvage de pierres »

Ici on marche avec prudence. Les ramasseurs de briques avancent à pas comptés, avec lenteur et précision, les doigts tendus sur la pierre. Nous avançons entre les trous sur des passages restreints. Et là, plusieurs groupes de deux, trois et souvent quatre personnes travaillent.

Le bruit cadencé des pioches frappant la roche rouge n’a pas cessé depuis l’aube. Cela fait des heures que les ouvriers creusent la latérite. Loin des regards, ils sont une cinquantaine à travailler dans la carrière sauvage de pierres.

Ce site est l’un des points chauds de la ville de Toma. Exploitée depuis une vingtaine d’années, la carrière ne fait que s’agrandir, toujours plus large, toujours plus profonde, l’immense cratère qui s’est formée au fil des ans est surnommée « Carrière ».

Evariste Foro, un paysan qui travaille dans la carrière

Qui est le responsable du site ? « Nous pouvons vous répondre si vous voulez », nous relance un homme de la quarantaine. Il s’appelle Évariste Foro. Il travaille dans cette carrière depuis son adolescence.

« C’est depuis 14 ans que moi j’ai commencé la confection des briques en pierres taillées avec mon papa ici ».  Mais aujourd’hui, il travaille à son propre compte. Comme lui, beaucoup sont des cultivateurs. Pour ne pas chômer après les récoltes, ils prennent d’assaut la carrière pour y extraire les briques.

Ça bloque la chaleur, c’est résistant et c’est moins cher par rapport au ciment 

Pour cette carrière en exploitation depuis une vingtaine d’années, une cinquantaine de personnes y travaillent par jour. Plus de 2 000 briques sont extraites quotidiennement. Le prix de la brique varie en fonction de la qualité. Ça se négocie également. C’est entre 75 et 100 FCFA.

Évariste Foro sort environ « 50 à 60 briques par jour et se fait environ 7.750 FCFA à la descente ». Le site est divisé en plusieurs portions. Mais ce n’est pas vendable. Il suffit de demander l’autorisation au propriétaire terrien avant de commencer l’exploitation.

Médard Ki, l’un des chefs de terre de Toma en est le propriétaire. À l’entendre, c’est satisfaire à un devoir moral en cédant la terre aux populations qui cherchent de quoi se nourrir. En retour, d’autres travailleurs de la carrière lui font un geste de reconnaissance.

Des milliers de briques sont extraites ici

Pendant l’hivernage, il y a peu d’affluence, car ces paysans sont dans les travaux champêtres. Ils reçoivent souvent des commandes de Ouagadougou et d’ailleurs. Cette brique en pierre taillée est prisée à Toma car, elle présente bien d’avantages, selon Évariste Foro. « Ça bloque la chaleur, c’est résistant et c’est moins cher par rapport au ciment », laisse-t-il entendre.

Avec les déplacements des populations. Le nombre de travailleurs de la carrière a haussé. La carrière de Basnéré est donc prise d’assaut par les PDI qui représentent plus de 2/3 des travailleurs de la carrière, avec un dénominateur commun : avoir la pitance quotidienne. Ils le font à contre cœur car la plupart n’était pas des creuseurs avant.

Il n’y a rien d’autre à faire à Toma. Ils sont environ 50.000, selon les dénombrements de décembre 2023 avec l’afflux dû aux déguerpissements de huit villages par les groupes terroristes. Selon la Direction provinciale de la solidarité, de l’action humanitaire, de la réconciliation, du genre et de la famille du Nayala, de gros efforts sont déployés avec l’appui des partenaires pour secourir les déplacés de la localité. Mais il y a des insuffisances.

« C’est la misère qui nous a emmenés dans cette carrière » 

Sur une portion d’en face, quatre personnes sont au travail. Il s’agit des ressortissants de Dièrè, un village de la commune rurale de Gassan. « Nous sommes venus ici entre janvier et février 2023. Les malfaiteurs sont venus nous attaquer et chacun s’est sauvé. 

Depuis que nous sommes arrivés, nous n’avons rien pour acheter quoi que ce soit. C’est pourquoi, je me suis retrouvé ici pour avoir de quoi manger. J’arrive à confectionner 50 briques par jour. Moi je vends l’unité à 75 francs », nous récite Lacina Sow, aujourd’hui déplacé à Toma.

Lacina Sow, originaire de Dièrè travaille aujourd’hui dans la carrière contre son gré

Auparavant, il exerçait le commerce et l’agriculture, mais la transition s’est faite sans recyclage. « C’est la misère qui nous a emmenés dans cette carrière, sinon ce n’était pas mon travail. J’étais boutiquier. J’ai chuté avant de devenir cultivateur.  En tout cas, ce travail est mieux que de s’assoir sans rien faire », lance-t-il.

Il est actuellement à Toma avec 8 membres de sa famille à sa charge. La carrière de Basnéré est le seul recours pour le moment. « J’achète le mil avec ce que je gagne ici, car on nous a chassés, on n’a pas pu emporter nos récoltes avec nous. Nos céréales sont dans nos greniers là-bas. J’ai appris même hier qu’ils sont en train de casser les portes pour piller les maisons. Celui qui ose mettre pied à Dièrè, on le tue », raconte-t-il avec émoi.

C’est de force qu’il est devenu briquetier aujourd’hui. Avoir de quoi mettre sous la dent et soulager la famille. « Il y a des jours, ça ne marche pas. D’hier à aujourd’hui même, on n’a rien vendu. C’est pénible ! », lance-t-il en soupirant.

« Nous sommes venus apprendre sur le tas » 

Nous avançons. Juste en face, deux jeunes sont au travail. Ni gan, ni cache-nez, zéro protection pour ces jeunes qui creusent leurs soucis, la rage dans le cœur, avec l’espoir d’un lendemain meilleur. D’ailleurs ils n’ont pas le choix. « Nous sommes venus apprendre sur le tas sinon je n’ai jamais fait ce travail avant. Moi j’étais cultivateur et éleveur », nous accueille Abdoulaye Ki.

C’est un autre déplacé originaire de Goin, un village de la commune rurale de Kougny. Il travaille dans la carrière avec son frère cadet depuis quelques mois. Tout son souhait, c’est de voir la stabilité pour retourner dans son Goin natal avec les siens.

Issouf Paré et son frère travaillent ensemble dans la carrière

Ils sont voisins avec deux autres frères de Tiouma, issus de la même commune. Engouffrés dans un trou qui avoisine les 5 mètres de profondeur, les deux frères s’entraident avec efficacité. C’est un travail de chaine qui se fait ici. Un entre dans le trou et soulève les briques pour les donner à celui de dehors qui se charge de les transporter un peu loin du trou et les classer.

A leur niveau, le même constat. Aucune protection pour les deux. Les dépôts de poussière rouge côtoient les paupières, les lèvres et les barbichons teintés en rouge. Leur village a reçu une sommation de déguerpir en 72 heures. « Ils ont chassé notre village. Voilà pourquoi on se retrouve ici. Nos oignons étaient à l’étape de maturation. Nous étions obligés de déterrer comme ça pour quitter », introduit Issouf Paré.

 « Dès que moi je me réveille à 5 heures, je prends la voie » 

Ils sont une quarantaine de membres dans leur grande famille aujourd’hui éparpillés dans la ville de Toma. Après trois mois de repos forcé, ils ont décidé de chercher de quoi exercer pour subvenir aux besoins de la famille. La voie de la carrière s’est ouverte à eux. Depuis lors, ils y sont.

Ils vivent avec amertume loin de leur village natal, de leurs terres bien propices à la culture de tubercules. « Sinon depuis que nous avons commencé à cultiver les oignons, nos enfants avaient commencé à rentrer de l’aventure pour se consacrer à la culture, car ça donne bien », confie Issouf Paré. Et voilà !

Au fur et à mesure que nous avançons. Nous croisons les PDI et chacun a son histoire, ses épreuves.  Il est environ 17 heures. Nous aboutissons sur un trou profond où un groupe de jeunes travaille. À l’entrée, la musique nous accueille. Ici ça travaille, ça boit le thé, ça cause à gorge déployée, au rythme de la musique.

En tout cas, c’est une bonne ambiance. Sakira Seydou et ses deux frères sont de Goersa. Ils partagent leur portion de terre avec un autre du voisinage. Ils sont frères maintenant. La même cause les a emmenés dans le trou.

Seydou Sakira dans les profondeurs de la carrière

Contrairement à d’autres qui abandonnent la carrière à midi pour se reposer et attendre l’accalmie des rayons solaires pour revenir le soir, cette équipe ne connait pas de repos. « Dès que moi je me réveille à 5 heures, je prends la voie. Et je ne repars qu’après 17 heures », nous confie Seydou Sakira.

Le repas se fait sur place. Ce jour, le haricot était au menu. Tout est urgent pour Seydou. Il est autodidacte indépendant. Des bidons de 5 litres contenant de l’eau sont positionnés dans un coin du trou pour étancher la soif de temps à temps. Ce jeune homme dynamique est un habitué du trou. Depuis Goersa, en pays Marka, il pratique l’agriculture et l’orpaillage. Il s’y épanouissait, selon ses dires. Mais la situation sécuritaire a brisé leur bien-être.

Un autre marché qui se développe à l’extérieur des trous, c’est la livraison. Pendant que ça creuse, il y a ceux qui détiennent des charrettes et se charge du ramassage et de la livraison des briques. Ils font des va-et-vient entre les chantiers de construction et la carrière. Ils gagnent aussi leur pain.

« Nous prenons une brique à 15 francs ou à 25 francs en fonction de la distance. Je ramasse environ 300 briques par jour », nous souligne Louis Golané, un déplacé originaire du village de Tô dans la commune de Toma. Il est à Toma, il n’y a quelques semaines. Il travaille avec son neveu et son beau-frère. D’ailleurs, la charrette appartient à son beau-frère.

Il a huit personnes à sa charge. Son village a été déguerpi par des criminels avec un grand châtiment à l’appui. Aujourd’hui, ils sont dispersés entre Toma, Bonou, Sien, Niémé, Yaba, etc. Chacun est allé en fonction de ses facilités. Cet homme travaille du matin au soir sur ce site malgré sa santé fragile. C’est une question de survie.

« Si je ferme un œil, l’autre ne voit rien » 

« Depuis 2014, je suis revenu de la Côte d’Ivoire suite à une maladie. Depuis lors, je ne fais qu’acheter des médicaments ». Problème de vision, lésions cutanées, etc. Visiblement ses yeux sont dans un état rougeâtre.

Sa peau aussi, bien raide, donne la chair de poule. « Si je ferme un œil, l’autre ne voit rien. Quand je suis en brousse seul, j’ai peur. Il faut à tout moment que quelqu’un soit avec moi pour pouvoir travailler », fait savoir monsieur Golané.

Louis Golané fait la livraison des briques

Ce sexagénaire a recouru à tous les traitements sans issue favorable, au point de penser au pire. « N’eut été la maladie, je ne vivrais pas ici. J’ai fait toute sorte de traitements depuis la Côte d’Ivoire en vain. Je suis venu au Burkina, et ça persiste. C’est cette année qui est mieux. Entre temps, j’avais pensé même à me donner la mort pour quitter ce monde pour de bon », raconte l’homme tout confus.

Il travaille malgré lui. Pas de lunettes de protection, ni de gans, ni de chaussures fermées, ni cache-nez, sous la poussière rougeâtre. Il fait des va-et-vient avec sa charrette à la recherche de sa pitance. D’ailleurs, on peut le comprendre. Il s’est sauvé avec la seule paire de sandales aux pieds.

« Tu vois cette paire de chaussures dans mes pieds, c’est avec ça j’ai pu m’échapper. J’avais au moins sept paires. Mais ma maison a été complètement brulée, le toit s’est écroulé, Mon matelas, mes effets, pour ma femme et pour mon fils y sont restés. Ma femme était responsable d’une association de femmes, toutes les sommes qu’on lui a confiées y sont restées », cite-t-il.

« De Gassan – Maré – Goin – Tô – Toma »

Le bilan n’était pas que matériel. Trois déplacés et deux habitants de Tô ont été tués ce jour. « Il y a un jeune qui travaillait au moulin. Le bruit du moulin ne l’a pas laissé entendre les coups de fusil. Malheureusement, ils (les terroristes, NDLR) sont arrivés, ils l’ont enlevé et fusillé », relate-t-il.

De cette carrière, nous sommes à moins de 10 kilomètres de Tô. Pour dire que le danger est à la porte de Toma et plane avec insistance sur la quiétude des habitants. C’est un sombre cauchemar qui taraude l’esprit des populations de la localité.

Cet homme creuse à une profondeur sans protection

Dans leur propre pays, la terre de leurs ancêtres, ils broient du noir. Les sans foi ni loi sont en train de transformer des paisibles populations burkinabè en des solitaires errants sans destination fixe. Des populations ont fait le trajet : Gassan – Maré – Goin – Tô – Toma, en moins d’une année.

Mais l’espoir a séché les pleurs de ces vaillantes populations. Elles sont résilientes. Depuis la carrière à Toma, ces déplacés ont un seul désir. Sortir de là, et retourner dans leurs villages. En attendant ce bon vent, une maladie qui tue traverse le pays San…

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Akim KY   

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