Adama Nebié, un grand « maître » de la couture !
Âgé de la trentaine, Adama Nebié est titulaire d’une maitrise en droit des affaires. Après l’obtention de ce diplôme en 2016, il s’oriente vers le marché de l’emploi. Demandes de stages par-ci, demandes d’offres par-là… Bref, toutes ses demandes se soldent par un échec. Loin de jeter l’éponge, Adama Nebié se rappelle qu’il sait faire quelque chose de ses dix doigts : La couture. D’où sa reconversion en retoucheur. Ce métier par définition consiste à adapter un vêtement à la morphologie du client. Réputé pour la qualité de son travail, Adama Nebié arrive tant bien que mal à joindre les deux bouts, en dépit des obstacles auxquels il fait face.
Adama Nebié a poussé ses premiers cris un 26 décembre à Tchètaly dans la République de Côte d’Ivoire. Comme plusieurs, il a vite été inscrit au cours préparatoire 1re année en 1999. Il rentre en possession du Certificat d’Etude Primaire en 2005, son Brevet d’Etude du Premier Cycle en 2009, le Baccalauréat en 2012, la Licence en 2015, et la Maitrise en 2016. Vous pouvez le constater, Adama Nebié a eu un excellent parcours scolaire.
A l’image de plusieurs autres Burkinabè vivant en République ivoirienne, il regagne le bercail après son Baccalauréat en 2012, pour poursuivre son cursus universitaire. Confronté aux difficultés de la capitale du Burkina, Adama Nebié ne laissera rien s’interposer entre lui et ses études. Fini donc les études, le voilà prêt pour le marché d’emploi.
Demande de stages par-ci et par-là, offres d’emplois, recommandations… Adama Nebié ne trouve malheureusement pas gain de cause, mais devient un client fidèle des « faux rendez-vous ». Plus les années passent, plus il est confronté aux coups de la vie. « Dois-je me coucher et attendre que le gouvernement pense à moi ? » s’interroge-t-il.
C’est en ce moment qu’il décide de se lancer dans les activités de gauche à droite. Serveur, gérant, agent commercial… sans vraisemblablement toucher le bout du tunnel. Puisqu’il faisait un peu de la couture pendant ses vacances. Adama Nebié se rappelle qu’il a un talent qui périt dans l’ombre. Pourquoi alors fléchir genoux quand on sait faire quelque chose de ses dix doigts ? C’est ainsi qu’il nourrit l’idée d’être retoucheur de design.
« La reconversion en tant que retoucheur est intervenue en 2019, lorsqu’on a fini le campus, en 2016 on a essayé de faire les concours, malheureusement ça n’a pas trop donné, vu la situation du pays aussi avec le problème de l’emploi, c’est devenu un peu difficile pour pouvoir se trouver un job. C’est ainsi qu’on a décidé d’entreprendre. Et Dieu sachant faire les choses, comme on savait faire quelque chose de nos dix doigts, on a essayé de mettre ça en valeur, en ouvrant un atelier de retouche », informe d’emblée Adama Nebié.
Déjà, il faut savoir que le choix de ce métier n’a pas été imposé à Adama Nebié, car dit-il, « j’avais déjà appris la couture, pas en tant que couturier, mais j’avais déjà fait l’apprentissage quand j’étais en classe de 6e jusqu’en 3e, et depuis lors je n’ai plus exercé ce métier, et c’est après le campus que je me suis lancé dans l’activité ».
Dès lors, des tas de problématiques taraudent l’esprit de Adama Nebié. Où s’implanter, comment trouver une machine à coudre, comment se procurer du matériel qui va avec… ? Toutes ces questions font surface, mais loin de zapper le moral de Adama Nebié, il avance sans regarder derrière lui.
De bouche à oreille, il a eu vent d’un hangar à Kalgondé (quartier de Ouagadougou ndlr). Avec l’aide d’un ami qui avait à sa disposition une machine peu usée, il démarre ses activités. Tout début n’est jamais facile, dit-on, surtout avec les moyens du bord.
« Faso Djassa », c’est le nom donné à sa boutique
Avec la persévérance, le courage, et la détermination, il avançait. Les clients malgré qu’il les reçoit à compte-goutte, il épargnait le peu qu’il gagnait ; puisqu’il avait une ambition encore plus grande : trouver une boutique et bien organiser son business.
C’est là qu’il déménage un peu plus tard dans le quartier 1200 logements, sur l’avenue Rwandais, précisément à 200 mètres à gauche du siège de l’Université Aube Nouvelle en partance pour l’université Joseph Ki-Zerbo. « Faso Djassa », c’est le nom donné à sa boutique.
Dans un espace assez aménagé, un magasin en tôle sert à stoker les habits des clients. Dehors sous le hangar, sont positionnées deux machines à coudre, celles de Adama Nebié et de son employé. A côté, se dresse une table sur laquelle il repasse les habits retouchés. Un peu à l’angle, se trouve un banc sur lequel patientent les clients venus récupérer leurs vêtements. Voilà en bref, la disposition de « Faso Djassa ».
« Adama Nebié est le genre de patron que tout employé aimerait avoir »
Dans cet espace, Adama Nebié n’est pas le seul locataire, puisqu’il le partage avec Thomas Zongo, son collaborateur. Aussi silencieux soit-il, Thomas est en même temps un passionné du travail bien fait à l’image de son patron, Adama Nebié. Il ne tarit pas de verbes pour décrire les qualités de son boss.
« Adama Nebié est le genre de patron que tout employé aimerait avoir. Il est sympa, on est ensemble et ça va. En même temps qu’il est mon patron, il est aussi mon oncle. Je souhaite qu’il améliore les conditions de travail à l’atelier, avoir de bonnes machines pour pouvoir travailler, et que tout aille bien », souhaite-il.
Six jours sur sept, la boutique « Faso Djassa » reçoit les clients à longueur de journée. Amis, proches, anciens camarades de classe, ou autres passants forment le catalogue de sa clientèle. Pour la plupart, les clients repartent satisfaits après leurs premiers services. Du coup, ces derniers deviennent sans doute des clients fidèles de Adama Nebié. A cet effet, on a tendu notre micro à Mamadou Ido, qui se définit comme un client fidèle de Adama Nebié. Passionné de la perfection, il prend un malin plaisir à confier son travail à Adama Nebié pour satisfaire ses attentes.
« Nous sommes des gens qui aimons la perfection, le travail bien fait, voilà ce qui nous pousse à venir chez Adama Nebié. C’est quelqu’un qui est dévoué, qui aime son travail, qui met du sérieux dans son travail, et c’est ce qui nous pousse à venir retoucher nos vêtements ; ça fait environ trois ans que j’ai connu son atelier et jusqu’à présent, tous mes vêtements, c’est avec lui que je travaille. J’ai même envoyé des clients, qui sont eux aussi satisfaits de son travail.
Côté comportement, c’est quelqu’un qui respecte le client, même si par moment les rendez-vous sont faussés, mais c’est le travail qui demande ça. Sinon, il est respectueux, il est accueillant et on est satisfait », témoigne Mamadou Ido, client fidèle de Adama Nebié.
« Il se fait une bonne recette qui varie entre 200.000 et 250.000 FCFA par mois »
Grâce à cette activité, le jeune retoucheur dit être à l’abri de tous besoins. A l’en croire, le métier de retoucheur nourrit bien son homme. Il gagne tant bien que mal sa vie, et aujourd’hui, il se fait une bonne recette qui varie entre 200.000 et 250.000 FCFA par mois.
« Depuis que j’ai commencé ce travail, par la grâce de Dieu j’arrive à subvenir à mes petits besoins, je me prends en charge, il y a des personnes aussi qui dépendent de moi. Donc je ne peux pas dire que le métier ne nourrit pas son homme », renseigne-t-il.
Comment un « maitrisard » en droit s’adonne à ce genre de métier ?, s’interrogent plus d’un. Comme on le disait tantôt, Adama Nebié est titulaire d’une maitrise en droit des affaires. Cependant, il ne semble en aucun cas jouir de ce diplôme aujourd’hui. Soigneusement rangé dans les tiroirs, son diplôme en droit des affaires est « piétiné » par la machine. Tout compte fait, Adama Nebié n’a pas mis à l’oubliette ce qu’il a appris sur les bancs, et entend en faire bon usage si l’occasion se présente bien.
« Pour le moment, depuis 2018, j’ai rangé le diplôme parce que quand j’ai fini, j’ai essayé de déposer des stages un peu partout, et jusqu’à aujourd’hui, je vous dis que personne ne m’a appelé. Je ne dis pas que ça m’a découragé, mais c’est juste que j’ai rangé le diplôme et essayé de me concentrer un peu sur l’entrepreneuriat que j’ai entamé depuis.
Sinon j’aime le droit, je l’ai fait par amour et même si pour le moment ça ne me sert pas, je dirais qu’à la longue, ça peut me servir. C’est un diplôme, ça ne pourrit pas, et je sais que tôt ou tard ça va me servir », confie-t-il. Qui sait ? Tout ça, peut-être avec la bénédiction de ses études en droits des affaires ! Donc, pas seulement pour gérer les affaires des autres !
A « Faso Djassa », Adama Nebié n’est pas dans un espace isolé, il est entouré par d’autres personnes qui exercent différents métiers. Juste avant d’accéder au magasin de Adama Nebié, des sacs à main et des chaussures dames sont accrochés juste à gauche, c’est l’entreprise de RSON, le voisin direct à Adama Nebié.
« Je lui donne souvent des habits à retoucher aussi, et c’est 100% propre »
Pour lui, le voisinage avec le retoucheur se passe plutôt bien. Depuis des années maintenant qu’ils se côtoient, aucun torchon n’a brulé entre eux, ils collaborent souvent quand il y a lieu. Par ailleurs, il salue le courage de Adama Nebié et surtout son professionnalisme.
« Adama aujourd’hui est comme un frère pour moi, c’est un bon voisin. On se comprend, il est gentil, et n’a pas de problème. Son travail est bien fait, parce que je vois toujours les gens qui viennent à chaque moment, qui admirent. Même moi mes clients, il y a d’autres que je recommande là-bas, et quand ils partent, après ils me disent que c’est bien fait.
Je lui donne souvent des habits à retoucher aussi, et c’est 100% propre. Même s’il ne te prend pas en mesure, il peut faire ça d’une manière très propre. Tout se passe bien entre nous, souvent même on fait des échanges de monnaie et tout », témoigne le voisin direct de Adama.
Lire aussi 👉👉 La machine a pris le dessus sur la Maitrise (le droit). L’histoire d’Adama NEBIE
Bien que tout semble aller comme sur des roulettes pour notre ami, force est de retenir qu’il n’est pas exempté des difficultés dans l’exercice de sa fonction. Comme dans tout autre métier, d’ailleurs.
« Les difficultés, généralement sont des difficultés d’ordre financier. On est un peu limité par nos moyens. Comme vous pouvez voir, la zone où on travaille il n’y a pas d’électricité, donc on travaille avec des machines un peu dépassées. Les financements sont limités pour qu’on puisse se trouver des machines un peu sophistiquées, puisque le travail même a besoin de ça. Par exemple, on n’a pas des machines de surfilage, quand on fait les pantalons tissus, on est obligé de se déplacer pour aller faire le surfilage et revenir faire la finition », énumère-t-il, avec peine.
Loin de se cloitrer sur ces difficultés et jeter l’éponge, Adama Nebié croit à un lendemain meilleur. Par-là, il nourrit énormément de projets, en vue de redynamiser son secteur et pourquoi pas transmettre son savoir-faire à ceux qui le désirent.
« Les projets il y en a beaucoup. Pour le moment, c’est essayer d’agrandir, aménager un peu l’atelier, recruter d’autres personnes aussi, s’il y a des gens qui veulent se former, les former dans le métier de retoucheur. A la longue essayer d’adjoindre un pressing si possible, comme il y a des gens avec des vêtements, et quand on finit la retouche on part laver et repasser et autres, maintenant si on pouvait adjoindre un pressing à l’atelier de retouche, ça allait faciliter la tâche et essayer de centrer un peu l’économie », révèle Adama Nebié.
Grace à son professionnalisme, Adama Nebié collabore avec de grandes boutiques de vente de prêt-à-porter. Une fois que ces boutiques font leur livraison, Adama Nebié se charge de faire les dernières retouches avant que les vêtements soient exposés pour la vente.
Aujourd’hui, il est fier de son job, et en même temps, il ne regrette pas d’avoir passé toutes ces années sur les bancs. S’il y a une chose que l’on retient de l’histoire de Adama Nebié, c’est qu’il ne faut jamais s’apitoyer sur son sort, mais plutôt se battre, en entendant toute aide de l’extérieur…
Il faut noter que, selon le 5e Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH), 7,1% des jeunes sont au chômage. Ce qui est d’ailleurs perceptible, constatent des spécialistes. Plusieurs jeunes sont confrontés à ce manque d’emploi après leurs études. Est-ce véritablement une raison de croiser les bras et rejeter la faute au gouvernement ? Pas évident ! Adama Nebié en est un exemple !
Sié Frédéric KAMBOU
Burkina 24