Siaka Coulibaly, analyste politique : «Un acte posé qui ne peut être sanctionné légalement, bénéficie d’un vide juridique qui profite au délinquant»

La situation politique actuelle est très riche en soubresauts et rebondissements de tout genre et plonge le Burkina Faso dans la quête d’un avenir qu’il n’est facile de prévoir. Des différentes déclarations et propos peu conformes aux normes démocratiques, à l’éthique et à la morale sociale et sociétale, il faut craindre un effet boomerang, mais surtout travailler à vite rectifier le tir. Burkina24 a à cet effet arraché un entretien avec le juriste Siaka Coulibaly, analyste politique et activiste de la société civile.

Le Burkina Faso est en pré-campagne et déjà à quelques mois des propos de politicien troublent l’ordre public. Comment analysez-vous ces situations auxquelles fait face notre pays ?

Le Burkina Faso est dans une situation politique ouverte où les chances d’accéder au pouvoir sont réelles pour plusieurs formations politiques qui, dans un passé récent, n’avaient pas beaucoup de chances. L’enjeu est si élevé que les partis politiques engagent toutes les actions possibles pour se donner l’avantage. Et cela se fait au détriment des règles, notamment celles qui gouvernent la campagne électorale et l’éthique de la communication politique.

Depuis plusieurs mois, les partis politiques organisent des activités (meetings, rencontres) qui relèvent purement et simplement de la campagne électorale. C’est pourquoi les autorités ont appliqué les règles en matière de campagne électorale ou de pré-campagne. Au fur et à mesure qu’approchent les élections, le ton monte et les propos inappropriés sont lâchés. Les réactions des burkinabé contre l’évocation de l’ethnie et de la religion en politique ont été superbes. Cela démontre un état d’esprit plus évolué que par le passé. Surtout, les jeunes ont rejeté les idées ethnicistes et religieux, même si eux-mêmes, en général, ont un langage déplorable dans l’espace public.

Depuis la chute de l’ex-président, la transition maintient le cap afin de répondre aux engagements. A cette étape pensez-vous que les résultats peuvent être atteints ?

Le gros problème de la transition est de ne pas avoir produit une feuille de route claire qui aurait guidé tous les acteurs. Aujourd’hui, l’action gouvernementale et l’agenda parlementaire sont conduits au gré des personnalités qui dirigent les institutions. C’est une situation très désagréable en démocratie. Aussi, à la fin, il sera quasiment impossible d’évaluer la transition puisqu’il n’y a pas de référentiel.

Le Premier Ministre a présenté un discours sur la situation de la nation sans avoir au préalable présenté une déclaration de politique générale. En plusieurs endroits de son discours, il a affirmé que la transition a continué l’action qui était déjà en cours. Cela veut dire que le gouvernement de la transition fonctionne avec la déclaration de politique générale de Luc Adolphe Tiao. Donc les espoirs de ceux qui se sont engagés pour le changement le 30 octobre 2014 n’ont pas été répondus par le gouvernement de la transition. Dans une situation d’imprécision politique, l’action des organes de la transition est quasi impossible à évaluer du point de vue des résultats à atteindre.

La tombe de Thomas Sankara a été exhumé ; si toutefois l’expertise prouve que c’est bien les restes du président Sankara, quelle pourra être la suite de l’affaire ?

L’exhumation des restes de la tombe supposée du Président Sankara a plusieurs objectifs. Au plan judiciaire, elle marque une phase capitale de la procédure d’investigation sur sa mort. De cette manière on aura fixé définitivement une interrogation qui a duré vingt-sept ans. On saura si c’est bien la dépouille du Capitaine Sankara qui est dans la tombe à lui attribuée au cimetière de Dagnoen. A partir de là les étapes ultérieures de la procédure peuvent se dérouler.

L’exhumation permet aussi de fermer les très nombreuses rumeurs et spéculations qui circulent sur les événements tragiques d’octobre 1987 et qui contribuent à ternir la mémoire de l’ancien président du CNR en évoquant des traitements inhumains infligés aux restes de l’ancien leader. D’autre part, la famille peut faire son deuil dès qu’il sera scientifiquement prouvé que le corps du défunt a bel et bien été retrouvé.

Quant à la suite judiciaire du dossier, l’ouverture des investigations est une victoire de longue haleine obtenue à la suite d’un combat inlassable. Même s’il faut objectivement accepter que la vérité totale sur l’assassinat de Thomas Sankara soit encore difficile à faire dans l’immédiat, l’ouverture du dossier judiciaire est un pas capital irréversible vers cette vérité.

Certains partis fustigent le nouveau code électoral qui tend à exclure des personnalités aux élections. Cette loi qui les interdit a-t-elle sa raison d’être quand le président Michel KAFANDO affirme que c’est une correction ?

Je répète que les dispositions d’inéligibilité inscrites dans le code électoral lors de sa relecture du 7 avril 2015 par le Conseil National de Transition sont politiquement dangereuses et juridiquement attaquables. Au plan politique, l’exclusion des membres d’un parti politique qui n’est pas interdit de fonctionner peut entrainer des atteintes à la sérénité du processus électoral et politique.

Sur le terrain, on a vu que le CDP peut légalement mener des activités, il l’a fait et mobilise des foules. La pression politique qui monte de ces mobilisations ne peut plus être bloquée par une simple mesure d’inéligibilité. Si sur l’ensemble du territoire, les candidats du CDP sont effectivement interdits de participer aux élections, il peut être craint que certaines formes de réactions ne soient mises en action par des militants de ces partis, selon le même modèle que lors de la modification de l’article 37 en 2014.

Au plan juridique, une loi dispose toujours pour le futur. Quand une loi est votée aujourd’hui, elle prend effet à partir de minuit et commence à produire des effets dès le prochain jour, en allant. Vous ne trouverez pas de loi qui condamne des faits passés avant son adoption. Un acte posé qui ne peut être sanctionné légalement, bénéficie d’un vide juridique qui profite au délinquant. C’est déplorable mais ce sont les logiques du droit. Il reste l’applicabilité des dispositions d’inéligibilité. Quels critères (actes) va-t-on utiliser pour appliquer la disposition d’inéligibilité ?

Si pour la présidentielle, la réponse semble être la présence au conseil des ministres du 21 octobre 2014, quel serait l’acte pour les élections législatives et municipales et comment l’appliquer avec justesse sur l’ensemble des circonscriptions électorales ? Du reste, le contentieux de la candidature aux législatives, s’il est volumineux, prendra beaucoup de temps à être traité, et peut conduire le conseil constitutionnel à repousser les élections, ce qui est dans ses prérogatives, mais que ne souhaitent pas beaucoup de burkinabé.

Selon les principes de la démocratie, le Burkina n’est-il pas devenu un état d’exception ?

Le Burkina Faso sous la transition politique n’est pas un Etat d’exception parce que la constitution du 2 juin 1991 est toujours en vigueur. Ce pays est cependant dans une situation politique exceptionnelle puisqu’une charte de la transition, en complément de la constitution, régit certains aspects de la vie politique, notamment les institutions chargées de diriger le pays (Président et gouvernement de Transition, Commission de réconciliation nationale et des réformes).

Cette situation peut très bien se comparer à d’autres contextes où des crises politiques amènent les acteurs à adopter des Accords politiques ad hoc pour traverser des situations précises (Togo 2007). Seuls pendant les quelques jours où la constitution a été suspendue, en novembre 2014, le Burkina Faso a été un Etat d’exception.

La question du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) fait couler beaucoup d’encre en ce moment quand on sait que des tirs ont résonné lundi dernier à la présidence du Faso. Que faut-il faire ? Dissoudre ou pas ?

Dans la mêlée générale sur le sujet du RSP, il faut savoir raison garder. C’est vrai que le RSP suscite contre lui beaucoup de rancœurs de la part des burkinabé du fait du rôle politique passé joué par certains de ses éléments. Tous les burkinabé sont aujourd’hui conscients de la nécessité d’une réforme profonde du RSP et de l’armée toute entière. Ces réformes doivent être entreprises dans le cadre des institutions et dans l’esprit d’amélioration du fonctionnement des institutions.

Sur ce sujet, il est indispensable de fixer quelques vérités qui ne plairont pas à tout le monde, mais que l’intérêt supérieur du Burkina Faso (paix et stabilité) exige de la part de personnes comme moi. La levée de bouclier contre le RSP de ce mois de juin 2015 est un phénomène bien circonscrit qui diffère de l’effervescence populaire suite aux événements du 4 février 2015.

Quelques personnes, sous le couvert d’organisations de la société civile, font des incantations sur la dissolution du RSP. Ce slogan n’est émis que pour soutenir politiquement le Premier ministre Yacouba Isaac Zida. Le fait que la demande de dissolution soit émise par des personnes très proches du Premier ministre réduit sa portée et porte à caution.

Par ailleurs, ces groupes d’acteurs sont, en réalité, responsables des mésaventures du Premier ministre. Par exemple, celui-ci, après avoir lui-même annoncé la dissolution du RSP au tout début de la transition, est revenu sur son idée, pour finalement affirmer que le RSP ne serait plus dissout, le 12 juin 2015, lors de son discours sur la situation de la nation. Après ce discours, des gens ont encore lancé le message de dissolution du RSP. Cela a contribué à mettre le feu aux poudres.

Les relations du Premier Ministre et du RSP ont miné la transition. Depuis l’intervention du RSP dans le conseil des ministres le 26 décembre 2014, celui-ci est devenu quasiment inapte à conduire l’action gouvernementale. Il est un homme diminué et humilié qui n’a plus été présent médiatiquement pour le dialogue avec les burkinabé. L’origine de son pouvoir a été aussi la cause de sa faible performance à la tête de l’Etat. Peut-être qu’il est seul responsable de cette situation.

Après le dernier épisode de la saga Zida-RSP, que nous vivons encore, les burkinabè, en toute responsabilité, devrait, sans subjectivisme, exiger le changement de toute l’équipe gouvernementale afin de conduire le reste de la transition (trois mois) de manière plus apaisée, surtout sans prolonger la transition. Cette idée se fonde sur le blocage institutionnel actuel qui n’a que trop duré.

La situation est alors suffisamment explosive sur cette question ?

Ceux qui réfléchissent à la bonne marche du pays, des institutions et au bien-être des populations, abordent le sujet avec prudence. La question du RSP doit être abordée sans passion et sans émotion. Les personnels du RSP sont des burkinabé qui peuvent être poursuivis par la justice quand ils commettent des actes répréhensibles. Le cas malheureux du jeune Alphonse Lompo qui vient d’être condamné à mort, le mardi 30 juin 2015, par la Cour criminelle pour l’assassinat de sa copine, est révélateur.

Ceux qui, à partir du RSP, ont commis des actes de violence politique par le passé devraient aussi être entendus par la justice. Mais jeter l’anathème sur tous les membres du RSP pour les agissements de quelques-uns d’entre eux serait une injustice. Le rapport produit sur la réforme du RSP donne une orientation claire de l’opinion de l’armée : le RSP ne sera pas dissous et ne sera pas délocalisé. Il subira des changements, notamment dans sa dénomination et une partie de ses missions. Je suis de ceux qui pensent à la question militaire depuis longtemps.

L’armée en politique est un paramètre persistant de l’histoire politique du Burkina Faso. Il n’est pas possible de régler cette question par des conférences de presse seulement. Il faudrait un cadre qui traite de la question, surtout sous l’angle des relations civilo-militaires, qui m’intéresse fortement.

Au demeurant, la question du RSP est une question pratique, pas théorique ni intellectuelle. Comment peut-on (des civils inoffensifs), demander la dissolution d’une unité de plus de mille hommes dont chacun porte en permanence plus de quinze kilos d’armement et est entrainé à bien s’en servir ? On ne fait que jeter de l’huile sur le feu et compromettre la fin de la transition. Des dommages corporels et matériels pourraient aussi découler de ces appels à la dissolution inconsidérés.

A mon avis, il faut traiter la situation présente rapidement par un changement de Premier ministre et de gouvernement et engager des travaux de réflexion complémentaires sur le RSP en intégrant la dimension civilo-militaire au rapport Diendjeré.

Des burkinabé de l’intérieur comme de l’extérieur pense que le RSP n’a plus sa raison d’être comment analysez-vous ces voix qui s’élèvent ?

Le Burkina Faso est craint par les autres pays à cause du RSP et toutes les armées des pays environnants envoient leurs unités d’élites se former au RSP. Ce corps mène de nombreuses missions dans la sous-région qui donnent au Burkina Faso sa place dans la géopolitique régionale. La dissolution ne me semble pas la solution.

En revanche, je pense que le RSP doit être mieux encadré du point de vue de ses relations avec le pouvoir politique et les populations. La notion de contrôle démocratique des forces armées doit être mise en œuvre au Burkina Faso, au regard de l’histoire politique du pays et des événements récents, en particulier à l’endroit du RSP.

Avez-vous un message à lancer ?

La transition est devenue l’occasion d’un déchainement verbal inédit avec l’apparition d’une nouvelle catégorie d’acteurs (jeunes) qui cherchent à compenser leurs lacunes théoriques par la violence verbale. Les insultes basses ont remplacé le raisonnement ou la rhétorique. Les jeunes engagés sont une grande valeur pour toute société, mais l’engagement a ses règles. Si les burkinabé engagés ne corrigent pas leur action avec un peu de morale, la gouvernance politique ira de mal en pis.

Beaucoup de burkinabé commencent à s’interroger sur la façon dont le changement a été entamé sous la transition. Au lieu de proposer des solutions pour le bien collectif, c’est la course à l’enrichissement personnel qui fait courir les nouveaux opérateurs politiques. La règle socio-politique est claire : le peuple apprendra par sa chair ce qu’il n’a pas su comprendre et anticiper par son esprit.

Interview réalisé par Charles Bako,

correspondant radio B24

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