Burkina : Pourquoi Rosine Coulibaly est-elle partie?

Tout comme le Premier ministre Paul Kaba Thieba, la ministre de l’économie, des finances et du développement s’en va. Quelles ont pu être les raisons de son départ après les performances de l’année 2017 qui ont valu au Burkina Faso la première place du top 10 de l’Africa Performance Index (API) ?

D’abord annoncée comme première femme à occuper le poste de Premier ministre le 6 janvier 2016, Hadizatou Rosine Coulibaly/Sori finira à la tête du département économie, finances et développement  dans le gouvernement Paul Kaba Thiéba le 13 janvier. Ses recettes à la tête du ministère ont permis de placer le Burkina à la première place du top 10 selon un classement de l’Africa Performance Index (API).

Et ce « malgré une baisse des recettes fiscales et une hausse des dépenses sécuritaires », constate le Financial Afrik. Entre temps, dès le premier trimestre de l’année 2018, s’est ouverte la ligne de front avec la coordination des syndicats du ministère. Remplacée par Lassané Kaboré dans le gouvernement de Christophe Joseph Marie Dabiré dévoilé ce 24 janvier, elle s’en va en même temps que Paul Kaba Thiéba.

« Ponts coupés »

Parce que « c’était compliqué à gérer avec les partenaires sociaux, les agents, le personnel », selon cet agent, faisant partie des responsables intermédiaires, qui étaient « pris à partie par les agents, par la hiérarchie aussi », la situation était comparable à celle du point de non-retour. « Les ponts étaient coupés. Il n’y avait plus de dialogue. C’était difficile. Tout était coupé. Elle était enfermée seule. Les gens ne travaillaient plus. Ils la regardaient faire », confie-t-il.

Les responsables syndicaux, membres de la coordination syndicale du ministère évoquent eux aussi l’absence d’échanges pour sortir de la crise.  « Il n’y a jamais eu de dialogue. Le manque de dialogue est criard. Le dernier dialogue que nous avons eu avec elle en tête à tête date de janvier 2018. Nous avons tout fait pour la croiser, niet ! Le dernier, et là, c’est le Premier ministre qui nous a conviés », déplore un syndicaliste.

Les fonds communs

Le 23 mars 2018, en réponse à une question orale à elle posée à l’assemblée nationale, la ministre s’était alarmée. L’évolution exponentielle (7 milliards en 2010 à un peu plus de 55 milliards en 2017) du montant du fonds commun y est pour beaucoup. Elle partageait l’existence de vingt-un (21) fonds communs existants dans plus de dix (10) ministères et institutions dont quatre (04) au sein du ministère qu’elle dirigeait.  

Rosine Coulibaly/Sori aura passé plus de vingt années dans les arcanes des Nations-Unies notamment au PNUD avant sa nomination au poste de ministre de l’économie. De consultante à économiste principale du programme des Nations-Unies pour le développement au Burundi et au Benin ( 1995 – 2002), elle occupera le poste de représentante résidente adjointe en Mauritanie (2002 – 2006) avant de se rendre au Togo (2006 – 2011) pour repartir plus tard au Burundi (2011-2014) et au Benin (2014 – 2015).

Sous son mandat, le bureau du PNUD Benin est passé en un an, de la 17ème place à la 5ème place au classement des bureaux en Afrique au Sud du Sahara tandis que le Bénin devenait le 1er Pays francophone en Afrique Sud Saharienne sur la rationalisation des Opérations des Nations-Unies (BOS), peut-on lire dans sa biographie publiée sur le site du ministère des finances.

Au Bénin voisin elle a fait de la promotion de la croissance inclusive, du développement à la base, de l’emploi des jeunes, de l’environnement, des changements climatiques, de l’accès à la justice aux plus pauvres et du contrôle citoyen ses priorités de 2014 à 2015. Nommée ministre de l’économie, elle ne manquera pas de faire part de son étonnement de ne pas pouvoir en faire autant dans son propre pays. « Pourquoi les mêmes conseils que nous avons donnés à d’autres pays, nous n’arrivons pas à nous les appliquer ? », s’est-elle interrogée le 23 mars 2018 à l’hémicycle.

Elle réussira à convaincre le président de l’assemblée nationale. Alassane Bala Sakandé à  plaider ce jour pour « un peu de patriotisme » de la part des agents du MINEFID à qui il demandera de « différer » leurs revendications et d’œuvrer pour la mobilisation de ressources nécessaires pour l’équipement des forces armées nationales.

« Elle est allée à l’assemblée jeter nos figures à terre. C’est ça qui a amené le mouvement. Si non, nous savons que ce mouvement, on pouvait l’éviter si elle avait un minimum de volonté », impute le syndicaliste qui évoque « un réel problème de survie des agents qui est là ». »Quand l’émotion domine la raison« , se fendra dans une tribune Bassolma Bazié, secrétaire générale de la CGT-B un peu plus d’une semaine plus tard.

Rosine Coulibaly

De l’avis de ce responsable intermédiaire, qui parle également « management », « on ne peut pas dire que c’est l’affaire du fonds commun » car dit-il, « c’est un raccourci ». Pour ce responsable syndical, « la présence de la dame au sein du ministère posait un problème ».

Est-ce pour toutes ces raisons qu’elle est partie ? « Vous ne pouvez pas accomplir des changements fondamentaux sans une certaine dose de folie. Dans ce cas précis, cela vient de l’anticonformisme, du courage de tourner le dos aux vieilles formules, du courage d’inventer le futur. Il a fallu les fous d’hier pour que nous soyons capables d’agir avec une extrême clarté aujourd’hui. Je veux être un de ces fous. Nous devons inventer le futur», a-t-elle écrit dans son message d’au revoir, citant le président Thomas Sankara, et publié sur sa page Facebook. Les doses de folie ont-elles été trop fortes ou trop faibles ? En attendant, elle s’en va et un autre vient à sa place pour proposer ses recettes.

Lassané Kaboré attendu avec empressement

Dans sa première prise de parole après la prise de contact dans l’après-midi du 24 janvier 2019, le nouveau Premier ministre a émis sa volonté de faire du MINEFID, un « ministère de développement ». L’annonce de l’économiste n’est pas une mission impossible vu du côté des syndicats.

« Les gens se trompent en disant que le Burkina a besoin de financement extérieur. Je vous assure que c’est archi faux, affirme ce syndicaliste. Aujourd’hui, les ressources internes nous suffisent largement », foi de l’agent. Nous avons la marmite devant nous. Nous savons ce qu’il y a l’intérieur. Mais maintenant, relativise-t-il, vous ne pouvez pas forcer quelqu’un à se sacrifier si c’est des menaces ».

Ce qu’ils attendent de Lassané Kaboré en remplacement de Rosine Coulibaly ? « C’est de rassurer les agents, leur démontrer que les choses ont véritablement changé ». Cela commence selon eux par l’imposition des « grands (qui) ne supportent pas » l’impôt contrairement aux « faibles ». En guise d’exemple, il cite les sociétés minières dont l’activité a fait passer l’or au rang de premier produit d’exportation devant le coton.  De l’avis d’Elie Kaboré, président de l’Action des journalistes sur les mines au Burkina Faso (AJM-BF), « on pouvait attendre mieux de ce secteur » en termes de mobilisation interne de ressources.

« Si l’Etat va réellement fermer les yeux mettre tout le monde à la place qu’il faut, fiscalement parlant, donner suffisamment de ressources aux impôts pour pouvoir faire leur travail, mettre un accent particulier sur le renseignement fiscal, égrène-t-il, je vous assure que le Burkina peut doubler son budget ». Pour cela, les partenaires sociaux attendent du nouvel argentier « qu’il s’y prenne le plus tôt possible », car, « plus on avance dans le temps, plus la situation se grippe davantage ».

Oui KOETA

Burkina24

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