Pr Taladidia Thiombiano le 30 août 2016 - © Burkina24

Covid-19 au Burkina : Réflexions et propositions du Pr Taladidia Thiombiano

Dans l’optique de comprendre les conséquences économiques des mesures gouvernementales sur le plan de riposte du Covid-19 et quelles solutions pour y faire face, Burkina24 a rencontré le professeur Taladidia Thiombiano, directeur de l’Institut de formation et de recherche en économie appliquée Thiombiano (IFREAT).                         

Burkina 24 : Le gouvernement a pris une batterie de mesures pour limiter la propagation du COVID-19. Arrêt des transports de passagers, fermeture des marchés et mise en quarantaine des villes contaminées. Comment mesurez-vous l’impact économique et social de ces décisions ?

Taladidia Thiombiano (TT) : Il faut rappeler que ces mesures quoique tardives sont nécessaires au regard de l’évolution très rapide de la pandémie et de la catastrophe humanitaire que cela entraîne. Le caractère très contagieux et surtout l’expansion exponentielle de la maladie fait que le gouvernement n’avait pas le choix comme la plupart des pays du monde quant aux mesures préconisées. Il s’est agi de choisir le moindre mal. Quel est l’intérêt d’avoir une économie « florissante » si la moitié de votre population est décimée ?

Il est évident que les conséquences économiques et sociales sont et seront très importantes car les mesures prises touchent directement les principales activités économiques et les secteurs vitaux  de l’économie nationale. Le marché en Afrique est un haut lieu de rencontres de personnes mais aussi d’échanges de biens et de services.  Les transports rentrent aussi dans la catégorie des services.  Il s’agit de branches qui font partie du secteur  informel et qui font vivre directement ou indirectement des  millions de personnes.

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En arrêtant les activités de ces branches, il est évident que tous ces acteurs sont mis au chômage et sont privés de leurs revenus quotidiens qui les font vivre eux et leurs familles.

S’agissant de la mise en quarantaine des principales villes contaminées, c’est un manque à gagner dans les échanges interurbains et des difficultés d’approvisionnement de la capitale en produits de grande consommation avec le risque de pénuries de denrées de première nécessité et aussi de hausse des prix.

Heureusement que le gouvernement a pris l’initiative, de continuer à laisser circuler les transports de marchandises afin de limiter ces pénuries alimentaires. Ces mesures sont un moindre mal à mon avis.

Au plan social, cet état de chômage va créer de nombreux conflits familiaux qui pourraient entraîner la désagrégation de certaines cellules familles sans oublier les problèmes de santé déjà précaire des familles qui sont les plus pauvres et vivent au jour le jour dans le domaine de l’économie informelle.

C’est vrai, que l’Etat aurait pu appliquer la théorie de l’immunité ou la théorie de la sélection naturelle à l’instar de certains pays européens. Mais est-ce raisonnable ? Ne serait-elle pas une politique malthusienne ?

Burkina 24 : Quelle est la durée supportable de ces mesures ?

TT : Il n’y a pas véritablement une durée supportable de ces mesures. Il faut appréhender l’approche au cas par cas car la situation d’une vendeuse de fruits et légumes au marché n’est pas identique à celle du marché de  boulettes de beurre de karité, de gombo ou de piment.

Les revenus moyens journaliers sont très faibles probablement différents du vendeur de tissus au marché. Les revenus hebdomadaires sont différents. Quoiqu’il en soit,  il est difficile, voire impossible à la plupart d’entre eux de pouvoir supporter des fermetures de plus de deux jours pour certains et au maximum une semaine pour d’autres.

Burkina 24 : L’économie burkinabè pourra-t-elle se relever de cette crise ?

TT : Bien sûr que l’économie burkinabè pourra se relever de cette crise. Il faut avoir toujours  une vision optimiste d’une sortie de crise et se dire que le peuple burkinabè n’est pas le moins intelligent  du monde et qu’il a comme tous les autres peuples du monde de grandes capacités de rebondir et faire face aux difficultés du moment. C’est vrai,  cela ne sera pas facile et  dépendra aussi de la durée de la pandémie, du niveau de sensibilisation du degré de fermeté de la part du gouvernement.

Burkina24 : Pour l’instant, on ne voit pas de  mesures d’accompagnement. Quelles pourraient être les décisions du gouvernement pour accompagner ou limiter les effets de cette crise ?

TT : Je suis d’accord avec vous que dans l’immédiat on ne voit pas les mesures d’accompagnement de la part du gouvernement. Or, compte tenu du caractère très sensible du secteur et face à une population déjà éprouvée par les conséquences socioéconomiques du soulèvement populaire des 30 et 31 octobre 2014, les attaques terroristes depuis trois ans, les aléas climatiques (variations des récoltes suivant les années et les régions), les multiples grèves et conflits sociaux et aussi  les grandes fluctuations de l’économie internationale, la maladie du COVID-19 et les mesures récentes prises par le gouvernement vont davantage accentuer les difficultés économiques du pays à court et à moyen termes.

Sans être alarmiste, plus la pandémie dure, plus l’économie burkinabè aura du mal à se relever très rapidement. Elle était déjà exsangue.  De ce fait,  il y a plusieurs types de mesures à prendre :

1°) A court terme   

Il s’agit de soulager les catégories les plus touchées par la fermeture des marchés, des bars,  le secteur des transports, l’approvisionnement continu des villes en denrées de premières nécessités. A cet effet, les mesures sans qu’elles soient exhaustives doivent être les suivantes :

  1. Au plan sanitaire
  • Rendre gratuite une certaine partie des besoins de santé (frais d’hospitalisation,);
  • Diminuer en accord avec les pharmacies le prix des médicaments essentiels ;
  1. Au plan alimentaire

Dans ce domaine le Gouvernement a pris au niveau du Ministère du Commerce un certain nombre de mesures dont les extraits ont été publiés par la Rédaction de Burkina 24 en date du 21 mars 2020. Je réitère ce qui suit :

  • Mettre un dispositif efficace de surveillance de l’évolution des prix des principales denrées de grande consommation (céréales, viandes, huiles alimentaires, fruits et légumes, ) ;
  • Veiller à l’approvisionnement régulier des villes et des campagnes en produits de grande consommation ;
  • Mettre en place un système de crédit à la consommation sans intérêt pour les catégories solvables

Iii) Au plan financier

  • Mettre en place une caisse de solidarité pour les catégories les plus pauvres.
    Cette caisse sera alimentée par les contributions volontaires de la population. Une retenue volontaire de 10% pourra être prélevée sur les salariés du privé et du public sur une période de deux mois. A cet effet, les membres du gouvernement, les membres des institutions de l’Etat, les membres de l’Assemblée nationale, …..sont tenus de verser en deux tranches le salaire et indemnités d’un mois
  • L’Etat lui-même en urgence, doit débloquer un fonds spécial dont le compte sera différent des contributions précédemment mentionnées ;
  • Solliciter les footballeurs professionnels du Faso pour une contribution au soutien à l’action gouvernementale dans la lutte contre la pandémie

Bref, la liste n’est pas exhaustive, mais le but est de venir en aide au plan financier et alimentaire aux commerçants, transporteurs, et aux malades indigents en comptant pour une fois sur nos propres forces. Comme dit l’adage, quand on lance un caillou, chacun protège sa tête d’abord. Et, aujourd’hui les pays développés se protègent d’abord.

2°) A moyen terme

  • Contribution volontaire de 1000 FCFA de 10 millions de burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur dans le cadre du fonds de soutien à la lutte
  • Contribution obligatoire des sociétés minières (moyen terme) pour un milliard cinq cents millions de FCFA à raison d’une moyenne de 100 millions pour chacune des 15 sociétés fonctionnelles ;
  • A l’heure actuelle, le prix du baril de pétrole est de 20 dollars au moment où l’Etat fixait son prix du litre d’essence à la pompe, le baril était au moins à 60 dollars. Dans tous les cas, compte tenu du ralentissement de l’activité économique dû à la pandémie et au regard des contradictions entre la Russie, l’Arabie Saoudite et les USA sur le prix du baril, on peut penser que la tendance sera pendant un certain temps encore à la baisse et au nom de la théorie du revenu objectif, la production continuera à augmenter pour atteindre 15 dollars le baril (seuil intolérable pour les producteurs). De ce fait, la SONABHY a plusieurs possibilités :
  • garder le prix actuel à la pompe des lubrifiants et procéder à une péréquation de 100 FCFA/litre pour alimenter avec les sociétés minières une caisse dont les montants seront consacrés d’une part, au soutien aux équipements sanitaires et d’autre part, à l’appui aux PME ;
  • diminuer les prix à la pompe de 50 FCFA et l’autre 50 FCFA à reverser à la caisse d’appui à la lutte contre le COVID-19. Si par mois il est vendu 10 millions de litres, l’Etat pour alimenter ses caisses au moins pour 500 millions FCFA par mois et ceci  pendant trois mois au moins, soit 1,5 milliard FCFA. Il s’agit là d’estimations qui pourront être raffinées par les autorités ;
  • Par contre, je ne préconise pas une baisse du coût de l’électricité et de l’eau pour éviter des gaspillages parce que ce sont des ressources naturelles qui produisent ces énergies. Au contraire, les gens doivent tendre à diminuer leur consommation d’eau et d’énergie afin de réduire leurs factures. Ça peut paraître irréaliste par ces temps de confinements qui entrainent une plus grande consommation d’énergie.
  • Pour soulager le coût de certaines entreprises dont les PME, il est indispensable de diminuer les prix de l’électricité et de l’eau afin de soutenir la relance de la production. Il faut mettre en place aussi un fond de soutien aux PME

3°) A long terme

Les mesures précédentes ont pour objet de réduire les coûts économiques et sociaux de la pandémie. On sait qu’après un tel désastre mondial, les économies auront du mal à se remettre. Le Burkina Faso doit commencer par compter sur ses propres forces dans un premier temps avant de présenter des doléances à la communauté internationale.  Il doit mettre en place un véritable plan socio-économique de développement qui dépasse le cadre purement économiciste pour prendre en compte le développement et non une simple croissance du PIB. Il doit prendre en considération les aspects socio-culturels et sanitaires. La démarche doit être macroéconomique, mésoéconomique et microéconomique.

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Gouverner c’est prévoir, la nature de la crise actuelle, son ampleur et sa profondeur seront telles que les recettes économiques seules ne suffiront plus. Il s’agit d’une crise multidimensionnelle qui doit nous rappeler nos modes de vie, de consommation, de production. En somme, sur la gestion en bon père de famille de la planète Terre. 

On doit chercher des réponses aussi à travers nos modes de développement. Qu’est-ce qu’un PIB élevé si on ne dispose même pas d’un nombre de lits suffisants pour répondre aux premiers signes d’une pandémie en ce début du 21è siècle ?

C’est ce qui arrive aux USA avec sa politique actuelle de  santé. Si on ne dispose même pas de masques suffisants pour la protection du personnel sanitaire pour se secourir avant de secourir le reste de la population. Je pense que l’Europe arrogante va faire un examen de conscience à travers sa notion de l’universalité civilisationnelle dont elle se targue.  Elle est gênée aujourd’hui de recevoir l’aide logistique de l’Asie, ceux qui étaient  désignés jusque dans les années 70 par la couleur de leur peau, à savoir les « peaux jaunes ».

L’Amérique impériale peut-elle comprendre qu’au-delà de l’alunissage le 20 juillet 1969 d’Appollo 11, qu’il y a un petit microbe, un virus appelé Covid-19 qui est capable de défier tous nos savants et que même dans nos abris atomiques ou dans la Station Spatiale Internationale (ISS) placée au-dessus de nos têtes depuis des années, nous sommes loin de maîtriser tous les secrets d’un Univers en constante expansion ?

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Pour une fois que le virus ne vient pas de l’Afrique, peut-on espérer voir s’installer une prise de conscience de la fragilité de l’Humanité et de la nécessité d’une meilleure collaboration internationale sans distinction de race, de couleur de la peau, de la fortune, du continent, de religion ?

Pour le Burkina Faso, nous recommandons pour le long terme ce qui suit :

  1. abandonner le concept de PIB au profit d’une économie sociale et solidaire tout en rejetant la conception du développement des institutions de Breton Woods ;
  2. mettre en place un véritable Plan de développement à la place d’’un plan d’un parti politique dont les orientations sont très limitées ;
  • abandonner nos modes de vie trop européanisés conduisant à des développements extravertis ;
  1. mettre l’accent sur la recherche scientifique et technologique à travers la mise en place d’un véritable fond de la recherche d’au moins 100 milliards FCFA. L’obligation est donnée aux chercheurs d’avoir des rendements. Aujourd’hui, les 700 à 800 000 FCFA donnés aux enseignants chercheurs restent des sommes dérisoires qui ne leur permettent même pas d’effectuer deux ou trois sorties sur le terrain ;
  2. renforcer chaque université régionale à travers la création d’UF/Sciences de la Santé. Je rappelle qu’une étude du CEDRES sur les OMD à la demande du PNUD, l’échantillon de sondage de la population enquêtée a fait ressortir dans le classement des priorités que 95% des sondés plaçaient la santé comme leur première priorité suivie de l’accès à l’éducation. La même étude réalisée par les collègues du Benin obtenait les mêmes résultats, à savoir la santé comme première priorité. Nous étions un peu surpris, car on pensait que l’alimentation serait venue en première position.
  3. Soutenir la relance du tissu industriel fragilisé par les importations clandestines de tout genre

Propos recueillis par mail par Jules César KABORE

Burkina 24

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