Pesticides dans le maraîchage : Attention, des résidus dangereux dans nos assiettes !
Pratiquée comme culture de contre-saison, la maraîcher-culture s’est imposée au fil des années comme étant une alternative efficace à la sécurité alimentaire au Burkina Faso. Elle a été introduite au Burkina depuis la période coloniale par les missionnaires blancs et les fonctionnaires de l’administration coloniale pour leurs propres besoins. De nos jours, elle est citée parmi les filières porteuses retenues par les autorités burkinabè. Cependant, la filière est menacée par les ravageurs qui chaque campagne infligent des pertes pouvant aller jusqu’à un taux de 50% aux producteurs. Pour y faire face, ceux-ci font recours à des produits phytosanitaires, communément appelés pesticides, pour protéger leurs cultures et accroître les rendements. Mais le revers de la médaille est là. En voulant protéger leurs cultures, les producteurs exposent les consommateurs aux résidus toxiques des pesticides. Pour voir la réalité de plus près, Burkina24 vous amène dans ce reportage auprès des acteurs.
Ce samedi 11 mai 2019, le jour vient de se lever à Ouagadougou. Le marché Pag-la-Yiri, situé à un jet de pierre du rond-point de la Patte d’Oie sur le Boulevard des Tensoba, retrouve son ambiance quotidienne. C’est un début de week-end et l’affluence est au rendez-vous.
Nous rencontrons une jeune dame du nom de Germaine Tecka, tenancière d’un restaurant à la Patte d’Oie. Parallèlement, elle travaille dans une société de la place et elle profite du week-end pour faire elle-même le marché. Comme beaucoup d’autres ménagères des quartiers environnants, c’est ici au marché Pag-la-Yiri qu’elle vient s’approvisionner en légumes. Ce matin-là, elle est arrivée avec un petit sac. Nous nous introduisons avec elle dans le marché des légumes. Ici on se bouscule et se piétine, mais rien de méchant.
Sous les hangars, on se salue et se donne les nouvelles des maisons. De gauche à droite, les étals des vendeuses offrent un beau décor et n’attendent que les premiers clients. Les légumes sont frais, ils viennent d’être cueillis tôt ce matin depuis les bas-fonds maraîchers et convoyés à bord de motos ou de taxi-motos dans ce marché.
Pendant que nous faisons le tour des étals, nous apercevons une dame en train de décharger ses légumes, elle est visiblement intriguée par notre matériel de reportage. Dans ce marché, on y trouve toutes les spéculations : la tomate, le chou, le gombo frais, la salade, le persil, la carotte, la courgette, l’oignon, le poivron, le piment frais, l’aubergine locale, le “Boulvanka”, du “Bouloumboula, de l’oseille, etc. Notre restauratrice, qui est spécialiste en cuisine béninoise et togolaise, a tout ce qu’il lui faut pour offrir un bon menu à ses clients.
Très vite, son petit sac est plein et pourtant elle n’a pas encore fait la moitié de ses achats. La solution est vite trouvée. Juste à la boutique d’à côté, elle achète deux sachets plastiques bleus, un récipient bien prisé ici. Au bout de quelques minutes, elle fait le plein de légumes. « Ça y est. On va aller faire la cuisine », nous dit-elle, tout sourire.
Mais savez-vous que ces légumes en apparence sains peuvent être contaminés par des produits phytosanitaires dangereux ? A cette question, la jeune dame marque un moment de silence avant de lâcher au bout d’un soupir : « nous sommes conscients. Les maraîchers utilisent des pesticides pour protéger leurs cultures et malheureusement, certains n’attendent pas le bon moment, c’est-à-dire le délai qu’il faut observer, avant de cueillir les légumes. Ça nous préoccupe, malheureusement, nous n’y pouvons rien », se désole-t-elle.
Pour diminuer la teneur des résidus des pesticides des légumes, cette restauratrice mise sur le lavage : « on lave d’abord les légumes autant de fois que l’on peut à l’eau simple, avant de les laver à l’eau de javel. On essaie de faire notre part du boulot (…), mais c’est évident qu’on aurait préféré des légumes bio», poursuit-elle.
Cap sur les bas-fonds maraîchers…
Pour ses besoins en produits maraîchers, Ouagadougou tire l’essentiel de ses légumes des bas-fonds périurbains qui l’entourent. Pour prendre la vraie mesure de l’ampleur de l’utilisation des pesticides dans ces sites maraîchers, nous optons de nous y rendre.
Nous mettons le cap sur le périmètre irrigué du barrage de Loumbila. Situé à une quinzaine de km de Ouagadougou sur la Route nationale 3, ce lac artificiel d’une capacité de 42 millions de m3 d’eau permet aux maraîchers de produire plusieurs spéculations sur son périmètre aménagé toute l’année.
Lorsque nous y arrivons en début du mois de mai, les premières pluies se font toujours attendre, mais les maraîchers ne se font pas de souci, du moins pas pour ce qui est de l’eau, qui s’étend toujours à perte de vue sur le long du barrage. Il est 8 h du matin. Le temps est encore clément. L’air frais et doux provenant du barrage, associé à la verdure des champs vous donne l’impression d’être dans une bulle. Mais très vite, au fur et à mesure que nous avançons dans les profondeurs des champs, c’est une autre senteur qui nous chatouille l’odorat. C‘est l’odeur des pesticides utilisés contre les ravageurs.
Pour protéger leurs cultures des nuisibles, les maraîchers utilisent des produits phytosanitaires qui sont des substances chimiques, naturelles ou de synthèse, destinées à lutter contre les parasites végétaux et animaux nuisibles aux cultures et aux récoltes. Selon des chercheurs, les bioravageurs infligent aux maraîchers environ 50% de perte de production chaque année.
Au Burkina Faso, l’historique de la forte utilisation des pesticides remonte à la décennie 1960-1970 à l’issue des activités de la Compagnie française de développement textile (CFDT) devenue plus tard la Société burkinabè des fibres et textiles (SOFITEX). Depuis, son utilisation n’a cessé de croître. Selon des chercheurs, le taux d’accroissement de l’utilisation des pesticides atteint 11 % par an au Burkina Faso.
Dans notre ballade, nous rencontrons Pascal Nikiéma. Il est en plein arrosage. A l’aide d’une motopompe raccordée par un conduit de tuyaux et de vieilles chambres à air, le quinquagénaire arborant une casquette et un polo à l’effigie de l’actuel chef de l’Etat burkinabè, remonte l’eau du barrage jusqu’à ses cultures. Dans sa parcelle, monsieur Nikiéma produit du gombo, de l’oignon, du “boulvanka”, de l’oseille… Au nombre des difficultés rencontrées, il déplore la cherté des engrais et le manque de débouchés pour écouler les productions.
Plus tard dans nos échanges, il dévoilera un autre souci et pas des moindres, la mauvaise utilisation des pesticides. A en croire ce paysan qui évolue dans le maraîchage depuis les années 70, jamais il ne se souvient avoir eu un encadrement sur l’utilisation des pesticides.
« Souvent, nous recevons ici des groupements agricoles qui viennent s’entretenir avec nous et recueillir nos préoccupations, mais lorsqu’ils repartent, c’est fini. A part eux, aucun agent technique de l’agriculture n’est jamais venu ici pour nous encadrer », confie monsieur Nikiéma. Pour ce qui est des pesticides, il explique que c’est auprès des commerçants qu’il s’en procure. Pour le choix de ses produits, le vieil homme se laisse guider par son expérience et souvent par les revendeurs.
« Nous ne connaissons même pas les noms des produits puisque nous ne sommes pas allés à l’école. Nous nous fions à ce que nous voyons sur les étiquettes », explique-t-il. Il avoue même que le plus souvent, les pesticides n’arrivent pas à éliminer les ravageurs et pire, certains brûlent leurs cultures. « Une fois, se souvient-il, j’ai pulvérisé mes cultures avec un produit, mais le résultat a été désastreux. Ça a complètement brûlé mes cultures ».
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Plus loin, nous rencontrons Sito Tapsoba. Le soleil est presque au zénith et la chaleur accablante a eu raison de lui. Avec le carême, il n’a d’autre choix que de trouver refuge à l’ombre d’un arbre. Novice dans la maraîcher-culture, monsieur Tapsoba est en train d’expérimenter certaines espèces comme la salade et la carotte. Contre les nuisibles, il explique choisir les pesticides en fonction des espèces agricoles qu’il voit sur les emballages. Il nous montre un produit qu’il vient d’utiliser contre les nuisibles qui attaquent ses plants de gombo.
« Je n’ai pas été à l’école, mais je vois des épis de maïs, de l’arachide et du riz. Donc je présume que c’est un produit qui lutte contre les nuisibles de ces espèces-là », commente-t-il. « Mais pourquoi utilisez-vous ce produit pour traiter le gombo, alors que sur l’étiquette vous n’avez aucune marque de gombo ? », lui rétorquons-nous. « Quand le gombo pousse, il y a des nuisibles qui l’attaquent depuis les racines. Une dame m’a conseillé de mélanger ce produit avec les semences avant de semer. Depuis ce temps, je n’ai plus eu de problème avec mon gombo. Il est vraiment efficace, ce produit », apprécie-t-il.
Comme on a pu le constater avec ce maraîcher, l’esprit de solidarité est très présent dans leur milieu. Lorsque vous utilisez un pesticide qui se révèle efficace, c’est ce dernier que vous recommandez aux autres producteurs.
« Vous savez, aucun technicien ne s’est présenté ici pour dire d’utiliser tel produit et pas tel autre produit. Généralement, c’est entre nous producteurs que l’on partage les expériences et ça marche », tente-t-il de nous rassurer. Mais visiblement, ce n’est pas à tous les coups que ça marche. Sur un pan de son champ, la mauvaise utilisation des produits phytosanitaires a fait ses effets. Sur cette partie, les cultures sont d’aspect jaunâtre non pas par manque d’eau mais, présume-t-il, « je crois que le produit que j’ai utilisé ne convient pas à ces cultures ».
Dans un autre lot, les cultures sont visiblement en souffrance. Avec la mauvaise utilisation des pesticides, certains ravageurs ont fini par développer des résistances. « Ici, il y a comme une sorte de petite araignée qui attaque les plants en tissant sa toile tout autour. Il n’y a pas ce produit que je n’ai pas utilisé. Mais le résultat est resté le même », nous raconte-t-il, le ton plus pondéré, comme pour exprimer son amertume. Pour se débarrasser de ces nuisibles résistants aux pesticides, Sito Tapsoba compte sur l’hivernage qui s’annonce avec l’espoir que les grosses pluies drainent avec elles ces nuisibles le plus loin possible.
Quid de la gestion des emballages ?
Au moment où nous nous apprêtons à prendre congé de Monsieur Tapsoba, nous découvrons juste derrière un petit buisson, un tas d’emballage des pesticides qu’il a déjà utilisés. Il explique avoir enfoui ses emballages derrière le buisson pour éviter que des bambins ne s’amusent avec. Seulement, ce qu’il considère comme cachette ne l’est pas du tout. De plus, en cas de pluie diluvienne, ces emballages risquent de se retrouver dans le barrage et entraîner d’autres problèmes écologiques.
Il n’est pas non plus rare que ces contenants soient réutilisés pour mettre des produits alimentaires comme l’huile ou l’eau. En fait, ces emballages même vidés de leurs contenus restent toujours dangereux.
Pour ce qui est de l’épandage des produits phytosanitaires sur les cultures, certains paysans à l’image de Sito Tapsoba disposent d’un pulvérisateur pour répandre les pesticides sur les cultures, mais d’autres par contre utilisent des moyens de fortunes.
« Ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un pulvérisateur utilisent le balai en paille traditionnel », nous explique Wendgouda Ilboudo, membre de l’Union Nationale des Producteurs semenciers du Burkina, section Plateau-Central. De mémoire de ce sexagénaire, personne dans ce bas-fond maraîcher n’a déjà utilisé la blouse combinée recommandée comme vêtement approprié pour les traitements phytosanitaires. « Souvent, on utilise juste un cache-nez et même que ce n’est pas tout le monde qui l’utilise. Heureusement, aucun cas d’intoxication sévère ne s’est pas encore produit ici », se félicite Monsieur Ilboudo.
Sito Tapsoba y voit l’œuvre de Dieu: « On se protège très mal, mais Dieu est avec nous. Et quand ça arrive que quelqu’un sent un malaise après l’application des pesticides, alors on conseille ce dernier de boire le lait qu’on appelle ‘’bonnet rouge’’ ou l’huile ». Ces deux produits sont réputés avoir des propriétés contre les cas d’intoxication selon ces paysans. « Mais quand c’est un peu grave, on se rend très rapidement à l’hôpital », ajoute Sito Tapsoba.
Autre site, même constat…
Après Loumbila, nous redescendons au sud de la capitale. Direction, le bas-fond aménagé de Boulbi, situé à la sortie sud de Ouaga dans la commune rurale de Komsilga, sur la Nationale 6 (route de Léo). Ce barrage construit depuis 1960 souffre aujourd’hui d’un envasement très avancé. D’une capacité initiale de plus de 2,3 millions de m3 d’eau, Boulbi n’est plus que l’ombre de lui-même.
En ce début du mois de mai, le barrage est presque vide et certains maraîchers en ont profité pour avancer leur champ sur le lit du barrage. « Ici l’eau du barrage finit progressivement et au fur et à mesure que l’eau recule, des gens profitent pour étendre leur champ. Mais dès les premières pluies, ils plient bagages quand l’eau reprend ses limites normales », nous explique un jeune producteur, qui comme beaucoup de maraîchers ignorent qu’en avançant leur champ dans le lit du barrage, et en y déposant une grande quantité de pesticide, il pose un problème écologique très grave.
Sur le côté aménagé de la digue, les maraîchers arrosent leurs cultures grâce aux puits qu’ils ont eux-mêmes creusés. Nous sommes accueillis par Ousmane Compaoré, un habitant de Kienfangué, exploitant un demi-hectare où il produit de l’aubergine locale, du gombo, de l’oseille… « En plus du manque d’eau, ce sont les maladies qui affectent nos productions, la mauvaise qualité des engrais et des pesticides qui constituent nos principales difficultés », nous explique-t-il. Il travaille ici depuis plusieurs années, mais jamais il n’a vu l’ombre d’un technicien de l’agriculture venir s’entretenir avec les producteurs.
Les bouchons comme instrument de dosage…
Du coup, pour combattre les nuisibles, chaque maraîcher y va de sa méthode. Pour le dosage des produits phytosanitaires par exemple, Ousmane Compaoré explique que n’ayant pas d’instrument de mesure, c’est le bouchon des emballages des pesticides qu’il utilise le plus souvent. « Parfois, poursuit-il, on prend certaines informations avec les revendeurs, mais eux-mêmes ne connaissent pas grand-chose. Donc nous faisons les choses aussi suivant nos expériences vécues ».
Pour ce qui est du délai de carence, Ousmane Compaoré dit en être conscient, mais illettrisme faisant, il ignore le délai normal recommandé par les fabricants : « Nous savons qu’il faut observer une période entre le dernier traitement et la récolte, mais les gens n’attendent pas forcément le délai qu’il faut ». Malgré notre insistance, il ne nous communiquera pas un délai exact, mais tout semble indiquer qu’ils n’observent pas plus d’une semaine alors que le délai normal varie en fonction des pesticides. Ce délai est généralement mentionné sur l’emballage.
Ce que les maraîchers ignorent en plus, c’est que certains pesticides qu’ils utilisent sont interdits d’entrée au Burkina Faso. Certains produits du fait de leur toxicité et de leur rémanence sont interdits d’entrée au Burkina selon la loi n°026-2017/AN portant contrôle de la gestion des pesticides.
Sur les traces des pesticides non homologués à Sankar-yaaré…
Pour percer le mystère de la fraude sur les produits phytosanitaires non homologués, nous nous invitons au marché Sankar-yaaré, sis avenue de la Liberté au quartier Dapoya de Ouagadougou. Ce marché populaire est l’un des plus anciens de la capitale burkinabè et où on y retrouve souvent des produits de contrebande.
Arrivé à la boutique de Ousséni Sankara, nous sommes reçu par un employé qui s’est présenté comme étant le patron. Mais dès que nous déclinons notre identité, il se précipite pour appeler le vrai propriétaire. Celui-ci arrive, et bien avant que nous lui expliquons l’objet de notre reportage, il s’empressa de nous dire que tous ses produits sont homologués. Il est visiblement d’humeur massacrante et nous tentons de le rassurer que nous ne sommes pas un contrôleur. Une tentative qui a bien payé, puisque notre interlocuteur nous permet de faire quelques images. Parmi les produits qu’il commercialise, il nous montre un qui n’est pas homologué sur lequel est écrit “Hercule”.
Pendant que nous échangions avec lui, arrive un de ses clients. Boureima Doga est venu de Ouahigouya (195 km au Nord de Ouagadougou). Ce revendeur vient s’approvisionner en produits phytosanitaires à Ouagadougou et les revend au marché de Ouahigouya. Nous profitons alors pour lui arracher quelques mots. A la question de savoir s’il connait les propriétés des produits qu’il vient d’acheter, sa réponse est évasive. Pour être plus précis, nous lui demandons le dosage normal d’un pesticide qu’il vient d’acheter et sur lequel est écrit ‘’Lamda Powder’’. Notre revendeur en est incapable et demande de l’aide au vendeur Ousséni Sankara. Ce dernier lui indique qu’il faut utiliser un bouchon de ce pesticide pour 16 litres d’eau, avant de s’en prendre vertement à lui en lui faisant savoir qu’il n’aurait pas dû nous laisser filmer ce produit.
En fait, ce produit fait également partie des pesticides non homologués. Pourtant, le revendeur en a pris un assez grand nombre et compte les revendre au marché de Ouahigouya. Pendant que nous nous apprêtions à quitter les lieux, un autre client est venu faire une livraison. Il loue les prouesses de son produit, mais reconnait qu’il n’est pas encore homologué.
Plus tard, nous rencontrons Salif Sanfo, qui dispose de deux grandes boutiques de ventes de produits phytosanitaires. Il dispose d’un agrément de vente et dit être formé pour renseigner les revendeurs sur l’utilisation des pesticides. « Vous savez au Burkina, beaucoup de gens sont illettrés et pour les sensibiliser, c’est tout un problème. Par exemple un producteur qui vient prendre un produit avec toi, tu lui expliques que ce produit va avec ça, et il te dit non, ce n’est pas ça qu’il utilise. Donc les producteurs se disent qu’ils connaissent mieux les pesticides que les revendeurs qui ont reçu une formation », regrette-t-il.
Le constat est clair. Malgré l’interdiction d’importer des produits phytosanitaires non homologués, le marché reste inondé.
Pour comprendre les raisons, nous avons rendez-vous avec Manoé René Sanou, le chef de service des Pesticides à la direction de la protection des végétaux. Selon lui, la présence sur le marché de produits non homologués s’explique par la porosité des frontières. « Le Burkina dénombre 20 postes de contrôle phytosanitaires au niveau des frontières où des agents sont chargés de contrôler les pesticides importés. Mais il y a des gens qui trouvent le moyen de contourner ces postes de contrôle et introduisent des produits frauduleux. Conséquence, il n’y a pas mal de produits qui se retrouvent sur le terrain mais qui ne sont pas autorisés », déplore-t-il.
A en croire cet ingénieur agronome, environ 50% des pesticides qui se retrouvent dans le maraîchage ne sont pas homologués.
« Le plus souvent, les gens aiment aller vers la facilité en utilisant les produits qui sont disponibles et moins chers. Dans le cadre du maraîchage, vous allez trouver beaucoup de produits du cotonnier qui se retrouvent en maraîchage, ce qui est formellement interdit par la loi. Certains maraîchers peuvent être des cotonculteurs et comme les produits du cotonnier sont donnés à crédit, ils se retrouvent avec ces produits dans le maraîchage: c’est ce qu’on appelle l’usage détourné des pesticides, une infraction sanctionnée par la loi », rappelle le chef de service des pesticides.
Pour ce qui est du manque d’encadrement, ce cadre du ministère en charge de l’agriculture reconnait que le ministère à lui seul ne peut pas donner tout l’appui technique aux producteurs sans l’accompagnement de partenaires, d’autant plus que les producteurs ne sont pas organisés.
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Une chose est sûre, la mauvaise utilisation des pesticides dans la maraîcher-culture est un réel danger pour la santé humaine et environnementale. Pour découvrir les types de maladies dont les pesticides sont à l’origine, nous avons poussé les portes du Dr Sylvain Ilboudo, Toxicologue, chargé de recherche au Département Médecine et pharmacopée traditionnelle/pharmacie à l’Institut de recherche en Sciences de la Santé (IRSS).
« Toutes les fois que nous avons été sur le terrain, explique-t-il, nous avons constaté des utilisations qui posent problème aussi bien pour l’environnement que pour la santé de l’homme. Parmi ces problèmes, on peut citer le fait que les gens utilisent des pesticides destinés à d’autres cultures, notamment le coton, pour traiter les cultures maraîchères. Alors que dans le principe, lorsqu’on autorise l’utilisation d’un pesticide, c’est sur une culture bien donnée. Lorsqu’on détourne l’utilisation, ça peut poser des problèmes de résidus des pesticides ».
En se basant sur les profils toxicologiques des produits utilisés dans le maraîchage, notre toxicologue en vient à la conclusion que « en général, l’exposition aux pesticides est associée à des maladies comme les cancers, le diabète, les maladies cardiovasculaires, les maladies immunologiques». A ces maladies, s’ajoutent des problèmes d’irritation cutanée, des problèmes respiratoires, des vertiges, des maux de ventre… L’exposition aux pesticides endommage également le système nerveux et cause des pathologies en lien avec les troubles de la reproduction et les malformations congénitales: infertilité, avortement spontané, prématurité et mort fœtale.
Tout comme l’homme, l’environnement aussi souffre de l’utilisation intensive des pesticides dans les cultures maraîchères. L’accumulation de ces substances altère la qualité des sols. Etant donné que la plupart des champs maraîchers sont à proximité des écosystèmes aquatiques, les polluants se retrouvent aisément dans le milieu aquatique. Selon Valério Coulibaly, membre du Cadre d’Action des Juristes de l’Environnement du Burkina, en saison pluvieuse le ruissellement emporte 2% à 10% d’un pesticide appliqué sur le sol en destination des points d’eau qui constituent les réceptacles des pollutions terrestres.
Il est clair que l’usage des pesticides permet de minimiser les pertes de récoltes causées par les ravageurs et de stabiliser les rendements. Cependant, faute d’information et d’encadrement, les maraîchers exposent les consommateurs à diverses pathologies sans occulter tous les dégâts que l’environnement subit, suite à la mauvaise utilisation des produits phytosanitaires.
Pour y remédier, Dr Sylvain Ilboudo préconise un accompagnement technique des producteurs dans le choix des pesticides. « Il est impératif d’assurer un accompagnement en termes de formation, en termes de disponibilité de produits. Il se trouve que même s’il y a des produits homologués pour être utilisés dans les cultures maraîchères, les gens n’ont pas soit l’information ou bien les produits ne sont pas suffisamment disponibles. Aussi, même avec les produits homologués, si l’utilisation est mal faite, nous enregistrons les mêmes conséquences ».
Mieux, il propose la création d’une cellule qui va assurer une surveillance des résidus des pesticides dans les produits couramment consommés. Techniquement, le Laboratoire National de Santé Publique est normalement doté de compétences pour pouvoir s’en charger. Reste à savoir si les autorités compétentes ont la volonté pour créer cette cellule.
Maxime KABORE
Burkina 24